Il s'agit de l'un des combats clés du ministère de la Transition écologique : lutter contre la pollution invisible de l'eau. Dans une vidéo de sensibilisation aux enjeux de ce type de pollution, on apprend qu'elle se manifeste par la présence de micropolluants dans l'eau, en quantités infimes (de l'ordre du microgramme par litre). Ces micropolluants peuvent être de nature minérale ou organique, sous forme de métaux, d'éléments radioactifs ou de pesticides. Les principaux responsables ? Les secteurs de l'industrie, de l'agriculture, des transports et de la construction. Conscient de ce défi et animé par l'envie d'entreprendre, Clément Nanteuil s'est lancé dans l'aventure Klearia en 2010 pour mettre la technologie au service des enjeux environnementaux.
Des présentations PowerPoint aux premiers clients, retour avec le docteur en physique fondamentale sur les origines et les contours de Klearia.
Si beaucoup d'entrepreneurs se lancent souvent dans un projet après avoir rencontré personnellement un problème qu'ils veulent résoudre, ce n'est pas le cas de Clément Nanteuil. Au contraire, il a quitté une carrière académique qui ne lui plaisait pas forcément et a découvert sa vocation d'entrepreneur lors d'un séminaire sur la valorisation de la recherche par la création d'entreprise dans le cadre du programme Entrepreneurs de CentraleSupélec. "Un entrepreneur qui venait d'être évincé de l'entreprise qu'il avait lui-même créée est venu témoigner de l'intensité et de la richesse de son expérience", se souvient Clément Nanteuil. "Aussi surprenant que cela puisse paraître, j'ai vu des étoiles dans les yeux de cet entrepreneur exceptionnel et je me suis dit que j'avais envie de vivre cela aussi.
KLEARIA, un projet "techno-push" répondant à des enjeux écologiques forts
Immédiatement, le jeune homme se met en quête de brevets scientifiques qui n'ont pas encore trouvé preneur. Il s'adresse au CNRS, aux incubateurs, et plus largement à toutes les structures publiques et parapubliques de l'écosystème entrepreneurial. C'est finalement un brevet dont il est l'inventeur, déposé par le CNRS et l'Université Paris-Saclay pendant sa thèse, qui est à l'origine du projet. "À l'époque, on ne parlait pas encore de deep tech", révèle Clément Nanteuil. Le "laboratoire sur puce" ou laboratoire "miniaturisable" est un système qui permet à tout un chacun d'effectuer des analyses chimiques à tout moment et en tout lieu. En ce sens, le laboratoire sur puce démocratise l'analyse. On retrouve ce principe dans le glucomètre, un appareil qui permet aux diabétiques d'analyser leur glycémie plusieurs fois par jour à l'aide d'un appareil portable et de bandelettes sur lesquelles ils déposent une goutte de leur sang, une technique décrite plus en détail dans cet article. C'est aussi le principe du test de grossesse !
Le brevet utilisé par Clément Nanteuil porte plus précisément sur une nouvelle technique de surveillance à base de verre ; le matériau chimiquement résistant permet d'effectuer des analyses sans avoir à changer ou à jeter les consommables. A partir de là, l'entrepreneur s'est interrogé : dans quel secteur a-t-on besoin d'analyses récurrentes sans avoir à changer d'appareil ? Il s'est rapidement tourné vers le suivi industriel et, par sensibilité environnementale, a sélectionné deux domaines : le contrôle de la qualité de l'eau d'une part et la qualité de l'air d'autre part. Klearia a par la suite développé sa technologie propriétaire d'intégration de composants électroniques dans le verre. Comme le souligne Clément Nanteuil, le projet est donc parti d'une volonté d'entreprendre sans problème précis, pour se cristalliser autour d'une technologie de pointe qui n'avait pas encore trouvé tous ses usages, et enfin comprendre comment elle pouvait être utilisée à bon escient. En ce sens, Klearia est un projet "techno-push", par opposition aux projets initiés en fonction des besoins du marché.
L'analyse chimique de l'eau en laboratoire : un processus fastidieux
Lorsque l'entreprise a été fondée en 2012, il existait déjà des technologies de laboratoire sur puce à l'état de preuve. Le reste était à inventer : le produit, la procédure d'utilisation et l'interface. L'objectif initial de la technologie était de rendre la chimie analytique accessible à tous. Pour détecter les micropolluants dans les eaux qu'ils traitent, les industriels doivent être capables de détecter un milligramme dans une tonne. Généralement, les industries et les secteurs de traitement s'appuient sur des laboratoires, ce qui entraîne des coûts et des délais importants.
Pour mieux comprendre le dilemme des entreprises industrielles, Clément Nanteuil prend l'exemple d'une usine de production d'eau embouteillée. L'eau est embouteillée en continu et des tests sont effectués régulièrement. Le processus d'analyse est long : un échantillon est envoyé au laboratoire, puis il faut attendre les résultats, demander une contre-analyse, etc. "Le problème, c'est qu'en cas de pollution, une à deux semaines de production sont détruites, souligne le PDG de Klearia, ce qui n'est pas sans entraîner des pertes économiques et environnementales." On pense au scandale sanitaire vécu par Danone dans les années 1990. En cause, des traces de polluants retrouvées dans les bouteilles de Perrier, qui ont dû être rappelées dans de nombreux pays. Au total, 280 millions de bouteilles ont dû être retirées du marché, pour un coût d'environ un milliard de francs à l'époque. Peu importe que seules treize bouteilles aient été affectées par des impuretés : Danone est passé du statut de leader à celui de troisième entreprise mondiale d'eau embouteillée, derrière Nestlé. L'origine de l'erreur est humaine : un filtre n'a pas été remplacé à temps sur un site de production. Ceci met en évidence les défis importants que représentent la surveillance sur site et l'optimisation du traitement de l'eau pour les entreprises industrielles.
Une technologie sensible, rapide et accessible
Naturellement, Klearia s'adresse à trois groupes d'acteurs : les producteurs d'eau en bouteille, les services d'eau et, plus récemment, les entreprises internationales de chimie fine que la startup accompagne sur les questions de protection de l'environnement. Avec les promesses de l'industrie 4.0, les industriels attendent avec impatience des capteurs intelligents capables d'atteindre les niveaux de sensibilité requis pour détecter les micropolluants. Cependant, même si de tels capteurs existaient, ils ne dureraient pas dans le temps, selon Clément Nanteuil. "Les prérequis technologiques de nos solutions sont extrêmement avancés : il faut une technologie à la fois sensible, car ce qui est analysé est très dilué, rapide par rapport aux méthodes de laboratoire, et accessible à tous pour éviter les coûts humains indirects."
De plus, la solution proposée par Klearia est durable, nécessitant peu de réactifs à petite échelle, peu de consommables, et générant donc peu de déchets. Clément Nanteuil explique : "Nous essayons de recycler au maximum les éléments actifs des consommables : le client nous renvoie la cartouche, nous remplaçons ce qui doit l'être, puis nous renvoyons le produit." Les segments de clientèle les plus prometteurs sont les tanneries, les fabricants de semi-conducteurs, les entreprises d'eau embouteillée et les secteurs des rejets dans l'environnement. L'entreprise bénéficie du fait que l'eau est présente dans pratiquement toutes les industries. Actuellement, Klearia travaille en étroite collaboration avec trois grands comptes internationaux, et des programmes pilotes sont en cours pour validation. Le rythme devrait s'accélérer ; des mesures mensuelles, on passera à des mesures hebdomadaires, voire horaires. À terme, l'idée est d'établir des partenariats commerciaux avec des entreprises de traitement de l'eau afin d'offrir une solution complète de surveillance et de traitement de l'eau.
"Nous n'avons jamais autant progressé que depuis que nous avons mis les mains dans le cambouis.
Ce qui est particulièrement intéressant dans le cas de Klearia, c'est que l'obsession de la technologie a fini par prendre le pas sur la vision du produit, comme le confesse aujourd'hui Clément Nanteuil. Entre le moment où les premiers contrats ont été signés en 2015 et le lancement de l'offre commerciale début 2021, plus de cinq ans se sont écoulés. "Avec ses aides, ses subventions, ses concours d'innovation, la France offre un écosystème extrêmement favorable à l'entrepreneuriat", commence le PDG de Klearia, avant de souligner le revers de la médaille. En se concentrant trop sur la recherche et le développement, Klearia a perdu de vue l'aspect commercial. "Lorsque nous avons signé notre premier contrat, nous voulions nous assurer des spécifications du produit alors que ce n'était pas la priorité du client, qui s'en moquait", reconnaît Clément Nanteuil.
Cette approche orientée vers la recherche au détriment du business se reflète dans la composition de l'équipe, avec plus de 50% de chercheurs. En 2021, la priorité a donc été de renforcer l'ADN commercial de Klearia et de mieux intégrer le retour d'information sur les produits dans l'équipe. "Nous travaillons actuellement à la construction d'un produit "idiot-proof", c'est-à-dire sans possibilité d'erreur pour l'utilisateur final", explique le CEO. B2C ? Pas à l'horizon, car la solution reste trop coûteuse pour les consommateurs individuels. "Les premiers appareils coûtent environ 10.000 euros, avec un coût d'environ trente euros par analyse", révèle Clément Nanteuil, ce qui est peu comparé aux centaines de milliers d'euros que coûte un analyseur de laboratoire.
Les investisseurs, méfiants, craignent l'eau froide
En ce qui concerne le financement, la startup basée à Nice a reçu plus de trois millions d'euros de subventions publiques depuis sa création. Néanmoins, le PDG a rencontré des difficultés pour lever des fonds auprès d'investisseurs en capital-risque. Effrayés par les échecs du secteur de la surveillance, ils attendent, selon Clément Nanteuil, de voir quelle startup pourra valider sa traction avec une technologie éprouvée par le marché. Dans cette course au financement, Neftys apparaît à l'entrepreneur comme une solution accessible pour financer sa R&D, lui permettant de "gagner de précieux mois". Une levée de fonds est en cours pour financer la mise sur le marché de la solution. "Une fois que nous aurons prouvé la traction, nous reviendrons vers les investisseurs pour accélérer", espère le CEO de Klearia - dont le nom est une combinaison de son prénom et de celui de sa femme. Une forte traction, c'est ce que nous leur souhaitons à Neftys !